dimanche 1 janvier 2017

Revue de l’année 2016

En ce 1er janvier 2017, je fais un bref bilan personnel des douze derniers mois dans le dossier des hydrocarbures au Québec. Comme on a beaucoup parlé d'Anticosti en 2016, mon billet sera surtout centré sur l'hypothétique gisement de pétrole de cette île.

En début d'année 2015, je me réjouissais de la victoire de la raison dans le dossier du gaz de schiste de l'Utica dans les Basses-Terres du St-Laurent. En cette fin d'année 2016, je me désole de devoir faire le constat suivant: la pression pour le développement des hydrocarbures au Québec s'est concentrée depuis sur Anticosti et le gouvernement n'a essentiellement retenu que le point de vue des promoteurs. L'année se termine avec l'adoption d'une loi qui autorise toutes les formes d'exploitation d'hydrocarbures, y compris les gisements non conventionnels pour lesquels l'exploration et l'exploitation impliquent l'usage de la fracturation hydraulique.

L’année 2016 débute avec la suite des déclarations angéliques de Philippe Couillard, qui depuis son retour de la conférence sur le climat COP 21 de Paris, jure que le saccage d’Anticosti par la fracturation hydraulique et par les puits de pétrole ne porteront jamais sa signature. Hélas les événements de l’année 2016 montrent que d’autres ministres (MERN, MDDELCC) sont autorisés à signer pour toutes les étapes intermédiaires …

Pétrolia attendra un peu la réponse à ses demandes d’autorisation pour trois puits avec fracturation: elle ne viendra qu’en juin 2016. Mais cette réponse est un feu vert tous azimuts pour trois forages, c’est-à-dire quatre autorisations (permis) pour chacun des trois puits prévus. Le gouvernement a décerné non pas seulement un permis pour chaque puits pour les opérations de forage (1), mais il a autorisé aussi, avant même que les puits ne soient commencés, trois permis complémentaires à chacun des trois sites pour les fins des opérations de fracturation: autorisation de prélèvement des grands volumes d’eau requis pour la fracturation dans les rivières adjacentes aux trois sites (2), le traitement des eaux de reflux de la fracturation (3), et finalement le torchage des gaz émis (4) pompeusement nommé « Système de traitement des émissions atmosphériques ».

Le 30 mai 2016, le gouvernement publie les deux rapports finaux des Évaluations Environnementales Stratégiques: ÉES-Hydrocarbures et l'étude spécifique à Anticosti ÉES-Anticosti.  Ces derniers rapports s’ajoutent à la suite des précédentes études gouvernementales :
- BAPE février 2011,
- ÉES-Gaz de schiste janvier 2014,
- Commission sur les Enjeux Énergétiques février 2014,
- BAPE novembre 2014.

Pour chacune de ces commissions, nous avons déposés des commentaires et des mémoires. Tout ce processus semble bien n’avoir été qu’une vaste opération de façade car le 7 juin 2016, le gouvernement dépose la loi sur les hydrocarbures enrobée dans un autre texte. Il refusera tout le reste de l’année de séparer ce projet de loi controversé de l’autre partie qui fait plus consensus.

Le 15 juin, c’est l’octroi des autorisations pour les trois puits avec fracturation à Anticosti.

L’étude en commission parlementaire de la loi 106 est interrompue le 7 décembre par le bâillon ; la commission n’aura discuté que des articles 1 à 25, sans même arriver à aborder les vrais articles qui se rapportent plus ou moins directement à la fracturation hydraulique.

Le 12 décembre, le gouvernement accorde une nouvelle autorisation pour rapprocher le puits No3 de la faille Jupiter ; une décision aberrante mais qui cadre bien avec toutes celles aussi illogiques qui l’ont précédée.

Comment résumer cette triste année 2016 ? D’une part, il y a eu, pour la façade, des consultations et des bien belles déclarations émotives de M. Philippe Couillard. D’autre part, il y a l’action législative (loi 106 et règlements) et les autorisations toutes orchestrées pour rendre possible la fracturation hydraulique. Au final les consultations n’ont donc eu aucun impact sur les décisions rendues dans les officines qui s’occupent des vraies affaires. Un bilan bien triste pour cette année 2016.

Qu’arrivera-t-il en 2017 ? Personne n’est véritablement devin ; c’est donc seulement des souhaits qu’on peut exprimer. Je souhaite que toute cette action gouvernementale où nos dirigeants persistent à s’enfoncer avec nos fonds publics, arrive au plus vite à son cul-de-sac prévisible. Ce n’est pas des lois et des règlements qui vont changer la réalité des faits: le pétrole et encore plus le gaz d’Anticosti ne seront jamais rentables. Les dépenses d’exploration sont faites en pure perte*.

En début d'année, c'est la coutume d'énoncer quelques souhaits. Je souhaite que le partenaire Morel&Prom en soit convaincu dès que possible et retire ses billes du partenariat Hydrocarbures Anticosti S.E.C. (HA S.E.C.). Je souhaite que les innus d’Ekuanitshit gagnent leur action en justice. Je souhaite que la mobilisation citoyenne fasse bloc autour de la prise de position des élus locaux de Port-Menier. Je souhaite que le gouvernement cesse de croire naïvement tout ce que le lobby pétrolier lui dit ; qu’il cesse surtout de ne prêter crédit dans ces décisions qu’à ce seul et étroit point de vue. Le mépris des autres opinions ne peut durer qu'un temps, car il aura un impact politique; je souhaite que le gouvernement en prenne conscience le plus tôt possible.

Références pour les autorisations émises le 15 juin 2016:



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* En ce qui a trait aux aspects économiques de l'hypothétique gisement d'Anticosti, il y a eu un paradoxe en 2016. L'ÉES-Anticosti a été lancée en 2014 en même temps qu'Hydrocarbure Anticosti, plus précisément Pétrolia son mandataire sur le terrain, amorçait des forages d'exploration. Des dix-huit prévus, douze ont été complétés: cinq en 2014 et sept autres en 2015. Or les résultats de cette dernière campagne de forage n'ont jamais été publiés; le rapport final de l'ÉES n'a pas du tout intégré les plus récentes données de forages. Toutes les études économiques qui ont alimenté l'ÉES et son rapport final sorti le 30 mai 2016 utilisent plutôt la valeur de 43 Gbbl publiée dans le rapport Sproule datant de 2011. Pourquoi avoir écarté les données des douze forages plus récents? Parce que ces données récentes ne sont pas favorables aux promoteurs.

Ce n'est pas dans le rapport final de l'ÉES-Anticosti du 30 mai qu'il faut aller chercher ces données, elles n'y sont pas. C'est plutôt dans une publication fédérale publiée un peu avant (rapport#8019 de Chen et al.) qu'on a les données les plus à jour pour Anticosti. L'évaluation de la quantité d'hydrocarbures en place pour toute la zone sous permis à Anticosti est ramenée à une valeur 15% plus faible: 37Gbbl. Aucun journaliste n'a rapporté cette baisse dans l'évaluation des ressources. Durant toute l'année 2016, Anticosti a défrayé la manchette à de très nombreuses reprises, mais aucun média n'a commenté la nouvelle évaluation plus basses des ressources. Les médias se sont durant toute l'année référés aux "quarante trois milliards de barils de pétrole d'Anticosti".

Le rapport #8019 donne de plus une répartition des densités en place, tant pour le pétrole (huile) que pour le gaz. Avec ces données, il est possible de conclure sans l'ombre d'un doute que ces hypothétiques ressources ne seront jamais économiquement exploitables. C'est là une nouvelle importante qui est hélas passée inaperçue; je crois donc utile de présenter ci-dessous une figure qui résume les données de l'évaluation complète qui a été faite en juin dernier à partir des données contenues dans l'étude #8019:



Pour résumer encore un peu plus les données de la figure, regardons uniquement les trois valeurs qui se rapportent au pétrole (29,4 --> 6,5 --> 0,12) :
- en place dans tout le territoire, la valeur exacte n'est plus 43 milliards, mais bien 29,4 milliards de barils; c'est là le total pour les trois détenteurs de permis, HA S.E.C.Junex  et TransAmerica
- en place dans la partie que le gouvernement cible avec 4155 puits (23% du territoire), c'est 6,5 milliards;
- avec un taux de récupération de 1,8%, ces 4155 puits pourraient produire 0,12 milliards (=120 millions de barils). Cent vingt millions c'est passablement moins que quarante trois milliards; il serait plus que temps de rajuster le discours à propos du pétrole qu'on pourrait extraire d'Anticosti.

Les valeurs du pétrole et de gaz qui pourraient être extraites par 4155 puits sont exprimées en Gbep c'est-à-dire en milliards de barils équivalents pétrole dans la figure. Le coût unitaire des puits, fixé à ~10M$, représente une dépense d'au moins 41 milliards de dollars. Ce n'est qu'une partie seulement de l'ensemble des coûts d'extraction présentés dans le rapport gouvernemental qui traite du "scénario optimisé". Les coûts d'investissements + les coûts opérationnels sont chiffrés dans ce rapport entre 90 et 120 milliards de dollars actuels. Or combien tirerait-on de revenus en extrayant 0,12 Gbbl de pétrole (=120millions de barils)? En supposant un prix à 100$/bbl, c'est 12 milliards de dollars de revenu brut pour le pétrole, un revenu bien insuffisant car les dépenses sont dix fois plus élevées ! Quant au gaz qui pourrait être extrait à Anticosti, il ne pourra jamais être compétitif avec celui produit aux USA; Anticosti est une île et sortir le gaz par méthanier avec des coûts pour le liquéfier demeurera toujours une solution économique non viable. Pourquoi le gouvernement, les chambres de commerce, les promoteurs, les médias également, ont gardé sous silence ces données en 2016?

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